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Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes

Les Gobiodon sont adorables entre tous les gobies. L’amateur sous-estime souvent leur intérêt pour l’aquarium en raison de leur taille réduite et de leur rareté relative chez les détaillants. Et pourtant, le comportement original de ces poissons miniatures offre une grande leçon d’écologie.

Quel est le poisson qui peut faire ressembler un corail branchu à un arbre de Noël ? La réponse à cette question farfelue fait quelques centimètres et s’appelle Gobiodon. Ces petits gobies élisent domicile entre les branches des madrépores, où leurs couleurs vives clairsemées ne sont pas sans rappeller l’ornement d’un sapin envahi de décorations en tous genres. Mais la ressemblance s’arrête là car les Gobiodon n’ont rien d’immobile ; affairé est un qualificatif plus approprié.

Un amour de gobie

Originaires de l’Indo-Pacifique, les Gobiodon sont probablement les gobies les plus intéressants pour l’aquarium, si on exclut les genres tamiseurs (Valenciennea, Amblygobius, etc) et fouisseurs (Cryptocentrus, Ctenogobiops, Stonogobiops, etc), hôtes caractéristiques des lits de sable. Leur corps dépourvu d’écailles est comprimé latéralement. A l’exception de Gobiodon citrinus qui atteint presque 7 cm à l’âge adulte, la quinzaine d’espèces du genre dépasse rarement 4 cm. Les Gobiodon présentent des colorations très variées. La couleur de Gobiodon citrinus, le plus courant dans le commerce, varie du jaune clair au brun. Il se reconnaît facilement grâce à ses six lignes bleu-turquoise : deux d’entre elles semblent couler de ses yeux telles des larmes, deux autres sont verticales et encadrent les opercules, les dernières délimitent les jonctions respectives des nageoires anale et dorsale avec le corps. Il est fréquent de confondre Gobiodon citrinus et G. okinawae, uniformément jaune orangé et de taille adulte inférieure à 4 cm. Gobiodon okinawae partage les préférences des aquariophiles avec Gobiodon histrio, aussi décrit sous Gobiodon rivulatus. La taxonomie de cette espèce reste encore incertaine et sujette à débats. Gobiodon rivulatus lui-même présente différentes variétés, comme G. rivulatus v. rivulatus, vert clair rayé de rouge orangé et présentant un tache noire sur le haut de l’opercule, et G. rivulatus v. erythrospilus, sans tache noire et plutôt bleu turquoise tacheté de vermillon avec un liseré noir sur les pectorales. Plus rarement, les détaillants reçoivent d’autres gobies coralliens, comme Gobiodon acicularis et G. ceramensis, uniformément noirs, et Paragobiodon lacunicolus, entièrement vert.

Paragobiodon echinocephalus et Paragobiodon lacunicolus sont connus pour leurs associations avec la crevette-pistolet Alpheus lottini et le crabe Trapezia cymodoce, lui-même symbiotique de coraux. Le gain de chacun des associés dans ce rapprochement est incertain. Le gobie adopte des positions diverses par rapport au crustacé. Il lui arrive d’être animé de tremblements qui seraient un moyen de communiquer et d’assurer une coexistence pacifique. Le poisson se montre parfois agressif à l’égard du crabe, qui ne répond pas ou s’écarte. Il arrive parfois, cependant, que des Paragobiodon juvéniles soient capturés et dévorés par le crabe.

Pas de Gobiodon sans coraux

Les Gobiodon font preuve d’une diffusion assez confidentielle parmi les amateurs, qui ignorent souvent leurs besoins environnementaux et les bases de leur comportement. Dans la Nature, les Gobiodon forment généralement des communautés territoriales au sein de colonies d’Acroporidés et de Pocilloporidés branchus. Ils vivent et se reproduisent au sein des coraux. Les Godiodon restent posés sur leurs nageoires pelviennes et anale. Ils chassent à l’affût et ne quittent la colonie que pour se nourrir de petits animalcules en suspension. Dans l’aquarium, des Gobiodon en bonne santé sont gloutons et ne manquent pas de venir se servir au nez et à la barbe des plus gros voisins ! Lors du nourrissage, il n’est d’ailleurs pas impossible que des carnivores de bonne taille les considèrent comme menu à part entière. Bien mal leur en prenne car l’épiderme des Gobiodon secrète un mucus particulièrement amer. Avis aux prédateurs qui oublient que, sur le récif “couleur vive = danger” : le gobie corallien ingurgité par l’opportuniste est recraché immédiatement.

Des observations scientifiques effectuées à Lizard Island montrent que Gobiodon histrio et G. brachus y grandissent plus vite dans les colonies d’Acropora nasuta que dans celles d’A. loripes. En revanche, G. brachus est exclu d’A. nasuta est est obligé par son concurrent supérieur, G. histrio, d’utiliser un habitat inférieur. Cet exemple montre que les Gobiodon spp. sont tolérants quant à l’hôte qu’ils adoptent mais que tous les hôtes ne sont pas équivalents. En particulier, la reproduction des gobies coralliens est liée à leur taille, ce qui confère un avantage significatif à ceux qui bénéficient des conditions optimales, et donc grandissent plus rapidement.


Fig. 1 - Croissance chez deux espèces de Gobiodon en fonction de l’hôte corallien

(d’après Munday dans Sale, 2002).

Même si cela s’écarte des conditions naturelles, il est cependant possible d’héberger des Gobiodon dans un aquarium dépourvu de coraux durs branchus. Comme les poissons-clowns qui se passent d’anémone symbiotique, les Gobiodon semblent se satisfaire d’hôtes de substitution. Il peut s’agir de coraux mous (Sarcophyton, Sinularia, etc), de stolonifères (Pachyclavularia, Briareum, etc) ou de corallimorphaires peu urticants comme certains Discosoma, mais certains Rhodactis ou Aplexidiscus considéreront éventuellement un Gobiodon comme une proie facile... Si on leur en donne le choix, les Gobiodon iront de préférence s’installer sur leur madrépore de prédilection dont ils semblent préférer des colonies d’une taille supérieure à 5 cm de diamètre. Le fait de maintenir des Gobiodon en l’absence de scléractinaires branchus peut contribuer à expliquer la faible espérance de vie trop souvent enregistrée en aquarium. Certains relevés stomacaux montrent en effet que les polypes de coraux sont éventuellement intégrés à leur menu (Nicolas Leclercq, communication personnelle). Cet apport nutritionnel et celui du mucus corallien de l’hôte peut être significatif pour la survie du poisson à long terme. Cela ne signifie pas que les Gobiodon vont anéantir les madrépores dans l’aquarium ! En revanche, il leur arrive effectivement d’ingérer du tissu corallien, en particulier à l’occasion du frai.

Espèce de gobie corallien

Hôte de prédilection, par ordre de préférence



Gobiodon acicularis

Echinopora horrida, E. mammiformis, Hydnophora rigida

Gobiodon brochus

Acropora nasuta, autres Acropora spp.

Gobiodon ceramensis

Stylophora pistillata, autres Pocilloporidés

Gobiodon citrinus

Acropora nobilis, autres Acropora spp.

G. histrio / G. rivulatus

Acropora nasuta, A. valida, A. millepora, A. tenuis, autres Acropora spp.

Gobiodon okinawae

Acropora nasuta, A. valida, A. millepora, A. tenuis, autres Acropora spp.

Gobiodon quinquestrigatus

Acropora spp. tabulaires

Paragobiodon equinocephalus

Stylophora spp.

Paragobiodon lacunicolus

Pocillopora damicornis

Paragobiodon xanthosomus

Seriatopora hystrix

Fig. 2 - Affinités spécifiques de quelques gobies coralliens avec différents madrépores.


De l’acclimatation à la ponte

Les Gobiodon se montrent assez sensibles à Amyloodinium pendant la période d’acclimatation. Il est donc conseillé de leur faire suivre une quarantaine dans un bac spécifique. Indépendamment de toute maladie, les poissons stressés présentent des marbrures plus ou moins marquées. Leur couleur semble comme effacée par endroits. D’une manière générale, il semble qu’une couleur riche et profonde est une indication de parfaite santé. Si on prend l’exemple de Gobiodon okinawae, les poissons doivent être opaques, à l’exception de toute transparence latente, même locale. Lors de l’acclimatation, les Gobiodon sont généralement assez affaiblis par la sous-nutrition consécutive à la capture. Il est souhaitable de distribuer continuellement de la nourriture vivante, par exemple des Artemia enrichis, pour assurer leur rétablissement. Ensuite, ils ne tardent pas à accepter des proies vivantes ou congélées, et des morceaux de krill ou de mysis. Ils consomment également des nourritures lyophilisées.

Une fois écarté tout risque de maladie, les Gobiodon démontrent une aggressivité intraspécifique prononcée, c’est-à-dire que plusieurs individus d’une même espèce se livrent à des parades d’intimidation incessantes. Les poissons les plus robustes pourchassent sans répit les plus faibles et les chassent dans le trop-plein quand cela est possible. Les animaux harcelés sont tellement affaiblis qu’ils finissent généralement par succomber. Il ne sert donc à rien de disposer plus de 2 individus d’une même espèce par tranche de 100 à 200 litres. Des expériences concernant les relations interspécifiques au sein du genre semblent ne pas avoir été répertoriées.

L’idéal est en fait de maintenir les Gobiodon par paires. Il n’y a pas de dimorphisme sexuel. Pourtant, si on prend soin de choisir des poissons de tailles équivalentes, ceux-ci auront une forte probabilité de former des couples, puis de pondre. Des recherches scientifiques ont démontré que plusieurs espèces de Gobiodon sont hermaphrodites réciproques, c’est-à-dire que ces poissons peuvent changer de sexe dans les deux sens. Il s’agit de Gobiodon citrinus, G. micropus, G. oculolineatus, G. quinguestriatus (ou Gobiodon à cinq lignes), G. rivulatus v. rivulatus et Paragobiodon echinocephalus (ou Gobiodon à tête rouge). Il est désormais communément admis que cette particularité est généralisée à tout le genre.

Environ 10 % des poissons sont connus pour leur hermaphrodisme. Mais généralement, il s’agit d’un changement irréversible de sexe, comme celui des poissons-clowns de mâle à femelle. L’hermaphrodisme réciproque est connu chez certaines crevettes déparasiteuses comme Lysmata amboinensis et L. grabhami : au sein d’un couple, elles changent de sexe et pondent régulièrement à tour de rôle. La conséquence immédiate est que ces crevettes associées par paires forment obligatoirement des couples.

Dans tous les cas, un couple de Gobiodon comprend un mâle légèrement ou significativement plus grand que la femelle. Le sens de changement des sexes dépend essentiellement des conditions environnementales. Quand deux femelles fonctionnelles sont mises en présence, la plus grande devient un mâle fonctionnel ; lorsque deux mâles fonctionnels sont isolés, le plus petit se transforme généralement en femelle fonctionnnelle. Il est donc possible pour ces poissons de se reproduire en tant que mâle et en tant que femelle au cours de leur vie.

Dans la Nature, les Gobiodon sont monogames et pondent de Avril à Novembre. Il sont très attachés à la colonie de coraux dans laquelle ils vivent. Ils ne la quittent qu’en cas de nécessité absolue. Si un membre du couple disparaît, l’individu restant part chercher un partenaire jusqu’à une dizaine de mètres alentours. Le changement de sexe interviendra si nécessaire au moment de la rencontre. Si la colonie vient à mourir, le couple s’en va chercher un autre domicile. Les individus associés en couples tolèrent rarement des individus de même espèce dans la colonie. Des juvéniles sont éventuellement acceptés dans un grand corail.

L’exemple de Gobiodon okinawae

L’introduction de deux couples de Gobiodon okinawae dans un aquarium récifal de 200 litres n’a fait que confirmer la théorie : les deux individus de taille supérieure ont soit éliminé, soit chassé les plus faibles dans le bac annexe. On devrait cependant pouvoir reconstituer la communauté territoriale naturelle dans de grand bacs riches en Acropora. Les deux Gobiodon restants ne semblaient pas avoir d’affinités particulières et s’intimidaient plus ou moins violemment, se pourchassant l’un l’autre entre les branches des Acropora : il semblait donc s’agir de poissons de même sexe. Au bout de quelques jours, leur relations se sont stabilisées et ils se sont appropriés un Acropora “cornes de cerf” d’une quinzaine de centimètres de diamètre. Il paraît raisonnable d’expliquer la modification du comportement par un changement de sexe, quand bien même la supposition n’a pas fait l’objet d’une vérification, dissection à l’appui. Les deux partenaires commençaient à se montrer possessifs et cherchaient à intimider ceux qui empiétaient sur leur territoire de quelques litres autour de la colonie corallienne. A cet effet, il n’est pas rare de les observer en nage stationnaire à proximité de leur Acropora. Ils se dandinent tels des poissons-clowns proches de leur anémone symbiotique. Après quelques semaines, ils commencèrent à s’affairer et à manger quelques centimètres carrés de tissu et de polypes coralliens sous une branche : il s’agissait de préparer l’emplacement des oeufs. Un comportement similaire avait déjà été rapporté à propos de Gobiodon cf. albofasciatus. La consommation du corail par les Gobiodon au moment du frai n’est pas préjudiciable à la colonie dans un aquarium sain. Le madrépore ne tarde pas à adapter sa forme de croissance à l’aire de ponte. Ceci dit, les Gobiodon okinawae peuvent très bien frayer sur un pied de Sarcophyton !

La première ponte est intervenue en milieu de journée, conformément à des observations antérieures. Le mâle ventile et protège les 100 à 200 oeufs alors que la femelle, légèrement plus petite, monte la garde. Tout intru, même d’une taille 3 fois supérieure au défenseur, est irrémédiablement bouté hors du territoire. Le diamètre des oeufs fraîchement pondus approche le demi-millimètre. Jusqu’à l’éclosion qui intervient cinq jours et demi plus tard, la taille des oeufs est multipliée par 2 à 3 et les alevins laissent transparaître leurs yeux. L’éclosion des oeufs juste après l’extinction des lampes semble laisser au frai pélagique une opportunité d’éviter la prédation des planctonophages. Entre chiens et loups, le récif corallien est généralement vide de ses occupants diurnes ou nocturnes : c’est l’heure de la relève entre les “équipes”. Après son premier frai, le couple de Gobiodon okinawae a pondu régulièrement, environ tous les sept jours. Cette donnée semble varier considérablement d’un couple de G. okinawae à l’autre : J. Charles Delbeek, co-auteur de L’aquarium récifal, reporte par exemple des pontes espacées de deux semaines et des éclosions après 7 jours au Waikiki Aquarium d’Honolulu.

L’élevage commercial des gobies coralliens

L’entreprise d’aquaculture ornementale C-Quest reportait dés 1993 dans le Breeder’s Registry, une base de données en ligne (www.breeders-registry.gen.ca.us), des reproductions menées à terme pour Gobiodon citrinus et G. okinawae. Les couples maintenus dans des cuves de 75 litres remplies d’eau de mer naturelle microfiltrée et nourris 4 fois par jour, pondaient de 300 à 1000 œufs tous les 4 jours sur un pot de terre. Le pot était retiré dans une cuve séparée de 300 litres avant l’éclosion nocturne, suite à 4 jours d’incubation. Le frai mangeait des rotifères jusqu’au 25ème jour, où des nauplii d’Artemia prenaient le relais. La moitié des larves était encore en vie après 4 semaines, ce qui témoigne de la facilité relative d’élevage et est encourageant pour ceux qui souhaiteraient tenter l’aventure.


Le frai des Gobiodon en captivité n’est pas exceptionnel. Si vous possédez un aquarium récifal équilibré ou les Gobiodon ne craindront pas une concurrence alimentaire trop accrue, n’hésitez pas à tenter vous-même l’expérience. L’avenir de l’aquariophilie marine passe par une meilleure compréhension des comportements et de leurs interactions, mais ne saurait compter sans la collaboration entre les amateurs et leur capacité à reproduire leurs pensionnaires.

Bibliographie

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