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Coraux et photosynthèse vus sous un autre jour

Rubrique : Biologie
Auteur : SingingLarvae
Niveau : Tous


Introduction

Mi-animaux, mi-plantes, les coraux ont développé au cours de leurs 500 millions d'années d'évolution une relation privilégiée avec des microalgues, les zooxanthelles. Cette relation est tellement étroite qu'on la qualifie de symbiose (le corail ne peut vivre sans ses zooxanthelles et vice-versa). Cette symbiose pourrait être résumée comme suit : les zooxanthelles, par le biais de la photosynthèse, fournissent oxygène et "aliments" au corail ; en retour ce dernier offre aux algues un "abri" au sein de ses propres tissus et les alimente de ces déchets.

On serait alors tenté de formuler l'hypothèse suivante : "plus il y a de lumière qui atteint un pied de corail, meilleure sera la photosynthèse. Ce pied recevant un maximum d'aliments de la part des algues, il bénéficiera donc de conditions optimales pour son développement !".

Ce serait malheureusement... trop simple !

Petit rappel : bases de la photosynthèse chez les coraux
Les plantes, grâce à l'énergie lumineuse, fabriquent de la matière organique à partir de dioxyde de carbone, d'éléments minéraux et de l'eau ; on parle de photosynthèse.

C'est pratiquement la même chose pour nos microalgues, ces fameuses zooxanthelles : en utilisant une partie des matières organiques fournies par le corail (déchets azotés et phosphorés principalement et le dioxyde de carbone issu de la respiration) elles produisent oxygène, glycérol, glucose, acides aminés, peptides, etc. utilisables comme sources de nourriture par le polype.

De plus, le prélèvement du dioxyde de carbone par les zooxanthelles induit une précipitation du calcium en carbonate de calcium dans le tissu corallien. Ce dernier pourra ainsi être utilisé pour la construction du squelette calcaire (Cf 1).
[C'est l'application pratique de l'équilibre chimique des carbonates :
Ca2+ + 2HCO3- <==> CaCO3 + H2O + CO2
Avec Ca2+, l'ion calcium ; HCO3- l'ion carbonate, CaCO3 le carbonate de calcium, H2O l'eau et CO2, le dioxyde de carbone. Les zooxanthelles (en consommant le CO2) déplacent l'équilibre chimique vers la droite et favorisent donc la précipitation des ions calcium et carbonates amenant à la formation du carbonate de calcium]
On pourrait schématiser comme suit les différents phénomènes (avec en bleu le corail et en vert les zooxanthelles) :
Schématisation de la symbiose corail - zooxanthelles

Vous suivez jusque là ? Ce ne sont que les bases de l'interaction zooxanthelles - corail. Dans les faits, c'est un peu plus compliqué !

Zooxanthelle : pas une, mais plusieurs !
De toutes les microalgues, une seule famille a réussi son mariage avec les Sclératiniaires (ou coraux durs) : ce sont les Symbiodinium de la classe des Dinoflagellés. On parle beaucoup plus facilement de zooxanthelles (de zoo : animaux et xanthelle : algue). Ces zooxanthelles sont réparties un peu partout dans les tissus de nos chers Sclératiniaires. On avance les chiffres de 30 000 cellules alguales par mm3. Cela représente tout de même entre 45 et 60% de toutes les protéines chez Pocillopora damicornis ! (Cf. 2)

Mais en 500 millions d'années, on a le temps d'évoluer (ah, Darwin !). Cette famille d'algues s'est donc divisée en 9 espèces abritant différentes... sous-espèces ! On classe ces différentes espèces et sous espèces dans des clades (aussi appelé types ou phylotypes) notés A, B, C, D, E, F, G et H. Les coraux abritent donc au sein de leurs tissus ces différentes micro-algues, et uniquement celles-ci (Cf. 3).
Arbre phylogénétique des différents types de Zooxanthelles (Source : Cf. 3)

Pour compliquer nos affaires, une même espèce de corail peut abriter certains types de Zooxanthelles dans un lieu X (par exemple une "population" basée sur 50% de Zooxanthelles type B et 50% de Zooxanthelles type G) et d'autres dans un lieu Y (50% de B, 25% de F et 25% de H par exemple).

On peut même assister, pour un même corail, localisé au même endroit, à une variation de la population des types de Zooxanthelles au cours du temps (en terme de semaines, saisons ou années) (Cf. 4).

Il y a en fait une véritable évolution des Zooxanthelles au sein des tissus coralliens. Mais pourquoi et comment ? Qu'est ce que cela apporte au corail ?

Régulation de la photosynthèse

En fait, la production d'oxygène (la partie la plus "visible" de l'activité photosynthétique des zooxanthelles) suit l'évolution de l'intensité du soleil : elle monte le matin et descend l'après-midi. Cela semble simple : meilleure est l'intensité lumineuse, meilleure est la photosynthèse.


  • A: Production d'oxygène chez différentes espèces de coraux (points discontinus) en fonction de l'heure du jour et de l'intensité lumineuse (trait solide)
  • B: Intensité des rayons UVA et UVB en fonction de l'heure du jour
  • C, D et E: Production d'oxygène chez Favia favus (A), Plerogyra sinuosa (B) et Goniopora lobata (C)(Source : Cf. 5).
Simple, mais... il semble qu'au-delà d'un certain point (aux alentours de la mi-journée), l'intensité lumineuse est tellement importante que l'excitation par la lumière des zooxanthelles devient "critique". En effet, une activité photosynthétique très élevée induit une production trop importante de radicaux libres nuisibles à la cellule. Le corail semble alors réguler à la baisse, via certaines hormones, l'activité photosynthétique des zooxanthelles (exprimée sur le graphique suivant par l'ETR ou Electron Transport Rate).Production d'oxygène (ronds - traits discontinus) et ETR (triangles - traits continus) en fonction de l'intensité lumineuse (traits continus) et de l'heure du jour.

En régulant à la baisse l'activité photosynthétique, le corail peut diminuer la quantité de radicaux libres. On se situe dans ce cas sur une échelle de l'ordre de l'heure. Mais on pourrait tout aussi bien changer d'échelle de temps et se placer par exemple sur celle des semaines.

Souvenons nous qu'un même corail peut abriter différentes sous-espèces de Zooxanthelles et que cette "population" peut changer au cours du temps. En fait, chacune de ces sous-espèces présente ses propres caractéristiques au niveau photosynthétique : certaines seront plus performantes que d'autres pour une intensité lumineuse donnée (par exemple le type A sera plus performant que G en cas de forte insolation) (Cf. 4 et 3).

Progressivement (on parle là en semaines), la population de zooxanthelles va donc s'adapter à l'intensité lumineuse que subit le corail (si l'intensité lumineuse augmente, les zooxanthelles de type A supplanteront celles du type G).

Applications à nos aquariums ?

On le comprend, la régulation de la photosynthèse chez les coraux (du fait des variations de l'intensité lumineuse) a un véritable effet physiologique sur les coraux. Et cela ne se limite pas seulement à la production d'oxygène !

On a ainsi pu démontrer des implications sur la croissance du squelette (le dépôt de calcium est maximal au petit matin et au soir, période où les zooxanthelles fonctionnent au meilleur de leurs capacités ; cf. #6) ; sur la production d'hormones telles que les SOD, CAT ou d'autres hormones physiologiques ; on pense même que le cycle de reproduction est (en partie) contrôlé par les variations lumineuses...

On le comprend, réduire la photosynthèse chez le corail à l'équation "Plus de lumière = Meilleures conditions de développement" est un raccourci, qui bien que tentant, s'avère inexact.

Peut-être devrions-nous être amenés à modifier notre manière de penser l'éclairage de nos aquariums ? La puissance lumineuse serait alors "étalée" au cours de la journée, de manière à reproduire le cycle naturel du soleil ; permettant ainsi à nos coraux de nous dévoiler des facettes de leur physiologie (couleurs, reproduction sexuée, etc.) encore inconnues en aquarium.

Et qui sait si le projet K2 n'est pas là pour en poser les bases ??

Références
  1. Zooxanthelle : définition Wikipédia
  2. Une association efficace avec des algues pour mieux se nourrir
  3. Lighting by number: types of Zooxanthellae and what they tell us
  4. Zooxanthellae of the Montastraea annularis Species Complex: Patterns of Distribution of Four Taxa of Symbiodinium on Different Reefs and Across Depths
  5. Diel "tuning" of coral metabolism: physiological responses to light cues
  6. Daily variation in the calcification capacity of Acropora cervicornis

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